Masterclass d’écriture d’Eric-Emmanuel Schmitt – exercice 1

A l’automne 2023, Valérie Pointet a suivi une masterclass d’écriture d’Eric-Emmanuel Schmitt et s’est pliée aux exercices qui ponctuaient plusieurs des leçons.

L’auteur a décidé de faire découvrir quelques uns des textes rédigés pour l’occasion.

En voici un premier dont la consigne était la suivante : Prendre une recette de cuisine qui est un texte d’écrivant et faire en sorte qu’il devienne un texte d’écrivain.

Recette de la mousse au chocolat

    Chaque fois que ma petite-fille Maéva vient passer un moment à la maison, je lui concocte l’un de ses desserts préférés. Aujourd’hui, j’ai décidé qu’il s’agirait d’une mousse au chocolat. Vous savez, celle qui laisse de magnifiques moustaches brunes autour de la bouche des petits gourmands.

Je pourrai la réaliser les yeux fermés depuis le temps, cependant j’aime suivre les indications sur le vieux cahier de recettes de ma mère, celui à la couverture tachée de toute part et aux pages recouvertes de sa belle écriture comme on l’apprenait jadis à l’école.

Alors, je commence par faire fondre deux cents grammes de chocolat noir au bain Marie et déjà les effluves parfumés me chatouillent les narines et me transportent aux confins de lointaines contrées tropicales. J’imagine les cabosses qui ont renfermé ces fèves, devenues tablette et qui dans un instant formeront une onctueuse crème.

J’y ajoute les trente grammes de beurre préconisés et ne peux m’empêcher de lécher mes doigts qui l’ont touché, par gourmandise, mais surtout pour les sensations que cela me procure, car tel une Madeleine de Proust, cette saveur me rappelle les petits déjeuners de mon enfance, avec ces tartines que l’on recouvrait d’une épaisse couche de beurre frais avant de les plonger dans notre bol de café au lait fumant.

Tandis que je laisse cette préparation refroidir, je m’occupe des six œufs ; ceux que je vais chercher toutes les semaines dans une ferme non loin d’ici et qui ont un goût autrement soutenu que ceux que l’on achète au supermarché. Parfois, un peu de duvet colle encore à la coquille. Pendant les vacances scolaires, Maéva m’accompagne et prend plaisir à ramasser les œufs elle-même dans le poulailler sous l’œil bienveillant de l’agricultrice, pendant que les gallinacées caquettent tout autour.

Une fois que j’ai délicatement séparé les blancs des jaunes, je monte les premiers en neige à l’aide du batteur électrique en y ajoutant une légère pincée de sel. Le mélange translucide forme rapidement des petites bulles et bientôt s’épaissit et blanchit. Surtout toujours tourner dans le même sens, au risque de tout faire retomber ; je me souviens de cette recommandation de ma mère lors de mes premières expériences en pâtisserie comme si c’était hier. De nouveau je souris à cette évocation nostalgique. Avant que les blancs ne tiennent bien accrochés au récipient, j’ajoute trente grammes de sucre en poudre en faisant attention de ne pas salir tout autour en relevant le batteur. Ça, c’est le coup classique, crépir les murs de la cuisine avec les blancs en neige ! Cela marche encore mieux avec la crème Chantilly ! Je vous assure, j’ai testé !

Bref, revenons non pas à nos moutons, mais à la mousse ! Les jaunes d’œuf vont rejoindre le mélange chocolat-beurre qui a eu le temps de refroidir, puis remuer énergétiquement à la cuillère en bois. Au passage, y tremper l’index et porter celui-ci à ma bouche qui salive. Personne n’a rien vu !

Maintenant, je peux verser progressivement la crème au chocolat sur les blancs en neige et commencer à soulever délicatement l’ensemble à l’aide de la spatule, faisant bien attention de ne pas casser les blancs. Sinon, tout va retomber et là, ce serait la catastrophe, si près du but. Mais non, depuis le temps que je prépare cette recette, je connais les gestes, ceux que m’a montrés ma mère qui elle-même les tenait de la sienne, qui les avait appris de… Mais de nouveau, je m’égare !

Il ne reste plus qu’à verser la composition dans un plat de service ou dans des ramequins individuels et à placer le tout au frigo pour au moins trois heures. Pour patienter jusqu’à la dégustation, je vais me faire plaisir en léchant tous les ustensiles recouverts de chocolat et l’espace d’un instant redevenir la petite fille que j’étais et qui ne manquait pas autrefois de nettoyer à coup de langue les cuillères ou qui raclait les bords du bol à l’aide de ses doigts, afin de ne rien laisser.

Finalement, préparer un bon dessert ne procure pas seulement un bonheur gustatif ; cela permet aussi de voyager dans des pays lointains, d’imaginer les produits exotiques que l’on y cultive, ou d’être transporté dans son passé et revivre avec nostalgie des moments partagés autour du fourneau.

Voilà donc une recette qui fait du bien au palais et à l’âme.