La Fête de la Francophonie

Voici un texte que j’ai écrit puis lu à l’occasion de la Fête de la Francophonie organisée à Sainte Foy lès Lyon le 13 avril 2014 par le District 1710 du Rotary, sur le thème de « la rencontre » et à l’attention, entre autres,  des jeunes lycéens étrangers en échange scolaire d’une année en France.

17 h 45 – Place Edgar Quinet. Quentin, élève à Edouard Herriot, assis sur un banc, les écouteurs sur les oreilles, chatte avec son copain Brice sur Facebook à l’aide de son Smartphone. Il n’est pas pressé. Il a oublié ses clefs et doit attendre que sa mère rentre du travail. Et comme on lui a rendu avec un 4/20 sa dernière dissertation, rien ne le pousse à se hâter. Si c’est pour que ses parents lui répètent pour la énième fois : « tu penses à ton Bac français ? », il est aussi bien là.
La musique de Stromae crache ses décibels si fort que Quentin n’entend pas qu’on l’interpelle. Un homme qui se tient près de lui, finit par lui toucher délicatement l’épaule pour l’aborder. Le lycéen sursaute. Il relève la tête de l’écran de son téléphone et lance, sur la défensive :
— Ouais ? Qu’est-ce que vous voulez ?
D’une voix très polie, l’individu lui répond en désignant le banc :
— Pardonnez-moi Cher Monsieur, puis-je m’asseoir à vos côtés ?
C’est à cet instant que Quentin remarque dans l’une des mains de l’inconnu, un chapeau haut de forme et dans l’autre, une paire de gants blancs. Drôle d’accoutrement. Le gamin se pousse de quelques centimètres pour le laisser prendre place.
Discrètement, il observe son voisin qui s’installe avec un large sourire à son attention, pour le remercier. Celui-ci est vêtu d’un long manteau sombre visiblement élimé aux manches, ouvert sur une veste de smoking délavée. Un noeud papillon bancal sur une chemise froissée parachève la tenue.
Une idée vient à l’esprit du garçon, intrigué :
— Vous allez à un mariage ?
— Je vous demande pardon ?… Mais quel impoli je suis ! J’ai omis de me présenter. Je suis Jean-Hubert Tourneuil, déclame l’inconnu en tendant la main.
— Salut ! Moi c’est Quentin ! réplique l’ado qui manque de lui écraser les doigts, voulant le saluer en frappant son poing contre le sien, comme à son habitude.
L’autre retire vivement sa main qu’il frotte délicatement, pour atténuer la douleur, tout en regardant son voisin d’un air perplexe. Ce dernier revient à la charge, comme si de rien n’était :
— Alors ? Vous allez à un mariage fringué comme ça ?
— Il n’en est rien. Pourquoi cette question, si je peux me permettre ?
— Ben, à cause de votre chapeau, des gants, tout ça, quoi ! Ah non, j’ai deviné ! Vous allez à une teuf où tout le monde est déguisé, c’est ça, hein ?
— À une t… teuf avez-vous dit ? Diantre, mais qu’est-ce donc cela ?
« Il est relou ce mec ! Mais il va où dans son costume de pingouin ? » se demande Quentin.
— Ouais une teuf ! Une fête quoi ! Une soirée déguisée, un truc genre « bal masqué» si vous préférez.
— Certes, je vois maintenant tout à fait ce dont vous parlez, en effet…. Mais, je suis au regret de vous dire que je ne me rends ainsi à aucune réception de la sorte.
— Ah bon ?
« Mais qu’est-ce qu’y fout alors dans cette tenue de malade, ce type ? » s’interroge le lycéen, sur ses gardes. Il a peut-être affaire à un détraqué. Il ferait mieux de quitter les lieux. Il ne cherche pas les ennuis. Déjà qu’il doit annoncer à ses parents sa mauvaise note ; c’est bon, ça suffit comme ça. Il est sur le point de se lever pour filer sans demander son reste et l’inconnu se montre subitement très curieux en remarquant l’objet insolite que le garçon tient dans la main.
— Quelle est cette boîte étrange que vous avez là mon ami ?
« Mon ami, mon ami ? Mais attends, moi j’le connais pas ce type ! Et de quelle boîte il me parle ? »
Debout près du banc, Quentin affiche sa surprise sur son visage et le questionne :
— Quelle boîte ?
— Là, dans votre main ; ce petit objet que vous tenez…
Le lycéen hallucine :
— Quoi, ça ? s’exclame-t-il en désignant son Samsung Galaxy dernier cri.
— Absolument !
— Ben, c’est mon portable, répond-il incrédule.
— Votre… portable ?
— Ouais, mon téléphone. Vous n’avez jamais vu un téléphone ou quoi ?
Avec un large sourire, l’inconnu en smoking dit :
— Ah ! C’est donc cela ! J’ai vu l’autre jour quelque chose sur cette invention dans Le Petit Journal…
Quentin, qui croit de plus en plus avoir un déséquilibré en face de lui, tente toutefois une question:
— Le Petit Journal de Yann Barthès sur Canal ?
— Non ! Je vous parle du Petit Journal de Moïse Millaud.
Quentin pense qu’il peut s’agir d’un nouveau chroniqueur. Ou alors d’un programme d’une autre
chaîne. Quoi qu’il en soit, ce bonhomme est vraiment dérangé du ciboulot. Il vient d’où pour ne pas
savoir ce qu’est un téléphone ?
— Mais vous êtes d’où, s’étonne le garçon.
— J’habite à la Croix-Rousse.
« J’aurais plutôt pensé qu’il venait d’une autre planète ! » se dit l’ado.
Soudain, l’écran du portable s’éclaire indiquant la réception d’un SMS. Le mystérieux inconnu a un
mouvement de recul.
— Fichtre bleu ! Et en plus, il devient lumineux ! Je n’avais pas lu que cette invention se voulait si
ingénieuse. Et fait-il autre chose ce fabuleux téléphone ?
Ne sachant plus trop s’il fallait craindre ce type ou le plaindre pour sa naïveté, Quentin accepte
néanmoins de lui expliquer le fonctionnement de celui-ci.
— Ben ouais, on peut aussi écouter d’la zique.
— De la… ?
— De la musique, répète-t-il en ôtant un des écouteurs et en le lui tendant. Tenez, mettez ça dans
votre oreille…
L’homme au smoking semble dubitatif.
— Comment ? Ce petit objet ? Dans mon oreille ? Est-ce douloureux ? s’inquiète-t-il.
« Je sais pas d’où y vient, mais y craint vraiment ce mec ! »
— Non, ça fait pas mal, le rassure l’ado. Comme ça, regardez ! ajoute-t-il en montrant comment
procéder.
L’autre s’exécute gauchement et parvient enfin à caler l’oreillette.
— C’est bon ? Vous êtes prêt ?
— Absolument ! Vous pouvez faire venir l’orchestre.
« Quel orchestre ? Non, mais franchement, il a fumé quoi ce type ? » Quentin manipule son
Smartphone et démarre le morceau de Pharrell Williams, Happy. « Boum, boum boum boum
boum… » Aux premiers sons, l’inconnu au teint soudain blême manque de tomber du banc en
poussant un cri effroyable :
— Grand Dieu ! Mais quel est ce vacarme assourdissant ! Quelle horreur !
Au même instant, la sonnerie retentit. Bizarrement, Quentin la perçoit comme si elle provenait de très loin. Qui l’appelle ?
— Quentin ! Quentin ! C’est l’heure ! Allez debout ! Tu vas être en retard au lycée…
L’ado ouvre un oeil. Sa mère se tient dans l’encadrement de la porte et lui fait signe en regardant son réveil qu’il faut l’éteindre. « Cela fait 5 minutes qu’il sonne ! Allez dépêche toi ! »
Le garçon émerge de son lit, la tête encore dans son sommeil. Au petit-déjeuner, entre deux cuillères de céréales il révèle à sa mère :
— J’ai fait un de ces rêves cette nuit ! Je rencontrais un type complètement chelou… un truc de ouf!
— Tu me raconteras ce soir, je suis très en retard. Je dois y aller. Pense à tes clefs aujourd’hui.
9 h 07 – Classe de français au lycée Edouard Herriot. Le prof annonce le programme du cours.
— Nous étudierons des poètes du 19ème qui n’ont pas vraiment brillé dans la postérité, mais qui ont tout de même laissé quelques écrits. Pour commencer, je vous parlerai de l’un d’entre eux qui a vécu à Lyon : un certain Jean-Hubert Tourneuil.